« La santé est le domaine de toutes et tous « , interview avec La Santé en Lutte

Pouvez-vous raconter comment est né le collectif et comment il agit ? 

Le mouvement de la Santé en Lutte est né de la volonté de rassembler toutes les catégories de personnels qui travaillent dans les soins : infirmiers, infirmières brancardiers, brancardières, médecins, techniciens, techniciennes, nettoyeurs, nettoyeuses, tous ceux qui travaillent dans les institutions de soin ; pas seulement les hôpitaux, mais aussi les maisons de repos et autres institutions de soin. Nous voulions rassembler pour mobiliser et réagir à la dégradation constante des conditions de travail du personnel soignant et du système de santé en général.

Le mouvement a commencé à l’occasion de la grève des femmes du 8 mars 2019, lors d’une première grève des infirmières de l’Hôpital Brugmann qui réclamaient de meilleures conditions de travail. Par la suite d’autres hôpitaux se sont mobilisés et, le 3 juin 2019, plusieurs hôpitaux (surtout les Hôpitaux Publics bruxellois) ont fait grève. Suite à cela, il y eut plusieurs jours de protestations variées, partout en Belgique.

Notre travail est surtout de visibiliser les vécus sur le terrain et les multiples préoccupations de nos collègues, même les plus petites, même celles qui n’apparaissent pas toujours dans les cahiers de revendications. Comme outils, nous avons une pétition en ligne et notre site internet ainsi que nos listes de diffusion (Facebook, WhatsApp et autres). Nous cherchons à intensifier le travail de terrain. Par exemple, l’année dernière, nous avons mené une campagne qui consistait à parler avec les travailleurs pour qu’ils déclarent leur service d’abord « en détresse » et puis « en lutte ». Nous avons aussi un gros travail d’organisation d’actions collectives (manifestations et soutien aux grèves). 

Comment êtes-vous positionné par rapport aux syndicats ? 

Plusieurs membres de l’équipe de coordination de la Santé en Lutte militent dans des organisations syndicales ; cependant notre collectif n’est pas né d’une initiative de ces organisations. Nous poussons à la syndicalisation et voulons faire converger les revendications des différents secteurs et sous-secteurs. Nous voulons développer nos relations avec les organisations syndicales pour travailler ensemble et les pousser à réagir davantage. Notre objectif est de rassembler tous les soignants, qu’ils/elles soient syndiqué-es ou pas, pour lutter.

Qu’est-ce que la pandémie et le déclenchement du confinement a changé pour la vie du collectif ? 

Le secteur de la santé et les institutions de soins sont oubliés depuis des années. Maintenant qu’on est en première ligne, il existe une héroïsation des soignants, des remerciements, etc. Mais toujours pas de matériel, pas d’effectifs, peu de conscientisation collective sur l’importance des services de santé publique et de qualité. On a énormément de témoignages de collègues qui nous racontent leurs difficultés dans cette période de pandémie. L’accès médiatique existe, mais reste encore très limité. On a l’impression que le constat de la mauvaise gestion de cette crise est partagé largement et que nous sommes devant un enjeu majeur de mobilisation populaire sur la question de l’accès à la santé et des moyens nécessaires pour rendre nos soins accessibles à toutes et tous.

Pour se coordonner en temps de pandémie on a dû faire des réunions virtuelles comme tout le monde et utiliser des outils de messagerie pour contribuer à la production de textes rapides et pour nous coordonner. Personnellement, je trouve que ça a été difficile. 

En cette période de confinement, les gens sont encore plus sur les réseaux sociaux et découvrent ainsi une autre réalité, faite de souffrances, d’inégalités et d’injustices… Je pense que beaucoup de personnes sont en colère. Nos revendications touchent beaucoup de gens, qui sont devenus plus sensibles aux questions de soins de santé qu’avant. On espère qu’après la pandémie, cette conscientisation tienne dans le temps et que les citoyens se rendent compte qu’ils ont aux côtés des soignants, aussi leur mot à dire. Il restera à rendre ce soutien actif dans une mobilisation tellement nécessaire dès qu’il sera possible de le faire. Nous avons pris l’initiative de l’appel à une grande manifestation post confinement qui aura lieu très certainement en septembre dès que la situation sanitaire le permettra.

https://www.facebook.com/photo/?fbid=510290663212640&set=a.298789451029430

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur cette manifestation ? 

Une manifestation importante était prévue pour le 29 mars. Il est évident que celle-ci a dû être annulée. Une date est prévue pour le 13 septembre, regroupant tous les travailleurs du secteur des soins de santés et tous les citoyens en défense d’une santé pour toutes et tous qui plus est, suite à cette crise qui nous aura montré les défaillances que celle-ci peut avoir lorsqu’elle est marchandisée. Nous ne savons pas encore si les évènements massifs ou à titre revendicatif seront autorisés pour cette date-là. Il est certain que cela n’arrange aucun membre du gouvernement de voir de telles protestations parcourir les rues suite à leur gestion plus qu’incompétente de la crise sanitaire. Pour notre part, nous tiendrons bon et si le 13 septembre n’est pas possible, cette manifestation ne sera que reportée, mais elle aura lieu. On ne lâchera rien.

Pouvez-vous faire un bref point sur la situation sanitaire dans les hôpitaux et maisons de repos en ce moment ? Quelles sont les difficultés majeures que rencontre le corps médical, et le personnel hospitalier dans son ensemble ? 

Sources: https://www.facebook.com/photo/?fbid=503157857259254&set=a.288612652047110

La situation sanitaire actuelle est très grave. La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation préoccupante des hôpitaux et des autres institutions de soins et de santé. Après des années de coupes budgétaires, on se trouvait déjà dans une situation de manque de personnel et de manque de financement. Aujourd’hui, avec la crise, l’épuisement du personnel s’est aggravé. La flexibilisation du travail a été considérablement augmentée : par exemple un travailleur qui a un horaire de nuit peut passer brutalement à travailler en journée ; celui qui n’avait pas de garde devra maintenant en faire ; si on ne devait pas travailler cette semaine, on peut être appelé à le faire quand même. Nous sommes même menacé·es de réquisition. 

Dans beaucoup d’hôpitaux et de maisons de repos, il y a toujours très peu de matériel et le dépistage reste faible ou inexistant. Dans un hôpital, une cheffe d’un service d’urgence pédiatrique qui ne se sentait pas bien a demandé à plusieurs reprises à se faire tester. On le lui a toujours refusé, car son service n’était pas considéré comme « à risque ». Ce n’est qu’au moment où elle a été internée en soins intensifs qu’elle a enfin été testée (elle était positive). Nous recevons des témoignages semblables par dizaines ! Nous en publions un maximum sur Facebook. Nous n’avons pas de données sur le nombre de personnel soignant affecté par le Covid-19, ni combien en sont morts. Nous voulons obtenir ces chiffres !

À l’heure d’écrire ces lignes, le gouvernement belge ne fournit toujours pas assez de matériel de haute protection, n’organise toujours pas de dépistage massif, ne prend toujours pas de mesures fortes face à l’épuisement du personnel de première ligne. Le gouvernement met tous les soignants en danger de mort. Une honte.

Quelles sont, selon vous, les décisions politiques qui nous ont conduits à cette situation ?

  • L’ensemble des coupes budgétaires depuis des années, dans la vague des politiques néolibérales en vigueur dans toute l’Europe et le monde entier. 
  • Le manque de cohérence face à la gestion de la crise en termes de santé publique qui aurait permis un dépistage massif de la population et une réquisition immédiate des matériels et médicaments nécessaires à la protection et soins du personnel de santé et de la population.
  • Le manque de directives claires à l’ensemble des institutions de soins de santé qui aurait permis une meilleure gestion du manque de personnel et l’épuisement de celui-ci.

Il faut impérativement investir dans la santé et reconstruire un système de santé publique fort pour une santé accessible à tout·e·s et de qualité. Une santé publique plus axée sur la prévention. Concrètement, il faudrait dans un premier temps plus de personnel, une revalorisation des métiers de la santé, de meilleures conditions de travail, un refinancement des hôpitaux et des institutions des soins de santé.

Ne faudrait-il pas mettre en place une plateforme de lutte contre l’austérité qui dépasse, déborde, le domaine de la santé lui-même ?

Tout à fait. Il est impératif de mettre l’accent sur l’intersectionnalité des luttes. Non seulement pour le domaine de la santé, mais pour tous les secteurs publics soumis à une marchandisation extrême. La santé est le domaine de toutes et tous et c’est pour cela qu’une alliance soignant·e·s/patients est essentielle pour rediriger les priorités des politiques actuelles.

Comme personnes, collectifs ou associations, comment peut-on au mieux vous aider ? Quelles sont les priorités en ce moment ?

Relayer nos appels et communiquer est déjà un super premier pas. Il faut aussi faire le travail de sensibilisation et d’information sur la situation dans les soins de santé et de continuer à conscientiser la population sur les réels risques de définancement du système de soins de santé. 

Soutenir nos revendications qui sont transposables dans les revendications de toutes les associations et collectifs du pays.

Montrer son soutien sous toutes les formes possibles. Les applaudissements c’est bien, mais scander nos revendications c’est mieux. 

Mobiliser activement avec nous cet été pour la grande manifestation sera encore plus important pour assurer que l’on soit le plus nombreux possible dans la rue dès que possible. Donc la priorité pour nous c’est ça, mobiliser le plus grand nombre et lancer ainsi les bases d’un grand mouvement populaire pour des soins de santé de qualité pour toutes et tous ! 

Un site de l'Asbl JOC.

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