Par Hugo Daubrège et Zoé Masquelier
À l’automne 2022, le Relais Social Urbain de Tournai a piloté un dénombrement du sans-abrisme et d’absence de chez soi. Si la situation était bien connue des associations de terrain, l’objectivation scientifique de ce phénomène a permis de mettre un coup de projecteur sur des situations spécifiques vécues à Tournai.
À Tournai, près de 400 personnes ont été comptabilisées comme étant sans logement ou n’ayant pas un « chez soi » stable, à ce chiffre important s’ajoute une centaine d’enfants qui vivent dans les mêmes conditions que leurs parents. Près de 40 % des personnes dénombrées sont d’origine étrangères (avec ou sans titre de séjour en cours de validité).
Hugo, permanent JOC à Tournai, travaille au quotidien avec les personnes en grande précarité, ou en précarité, notamment des jeunes dans les rues. Zoé coordonne une association d’aide et d’accompagnement des personnes en migration. Iels ont toustes les deux participé au dénombrement avec les structures et ont échangé sur la situation du mal-logement1 et de son impact à travers ce qu’iels voient sur les publics spécifiques que sont les jeunes précaires et les jeunes en migration.
À Tournai, on se rend compte que beaucoup de propriétaires abusent de la précarité de certaines personnes. Les allocataires du RIS2 par exemple peuvent se voir directement refuser des logements car les cautions CPAS ne sont pas acceptées, et ce en dépit de l’illégalité de la pratique. Les personnes n’ont alors comme « choix » que de se tourner vers des gourbis, des logement insalubres, tenus par des marchands de sommeil. On pense souvent à tort que ce phénomène n’a lieu que dans des grandes villes, mais Tournai n’est malheureusement pas épargnée. Les prix des loyers sont souvent super élevés par rapport aux prix réels du marché. On remarque que ça touche jusqu’à la petite bourgeoisie où les familles rencontrent également des difficultés de logement. Les prix sont toujours plus chers pour toujours plus de petites surfaces. Bien souvent, ces logements cachent des dangers importants pour la santé des locataires.
« Je me souviens d’un couple avec qui j’ai travaillé, ils louaient un gourbi pour 600 € par mois. Tout était tapissé et quand ils ont tiré sur le papier peint, c’était tout pourris derrière, insalubre, infesté par les parasites et dégueulasse. »
Hugo, permanent JOC
Beaucoup de monde est au courant de la situation de ces logements mais ils s’imposent parfois comme la seule alternative à la rue : « On accompagne parfois des gens dans leur recherche de logement quand ils décident de poser leurs valises à Tournai, et quand on voit certains « appartements » on voit bien que ce n’est pas légal ou correct », explique Zoé.
« Par exemple, un logement dont les sanitaires, la salle de bain et la cuisine sont à partager avec les autres locataires par pallier. Mais surtout on se rend vite compte que proprio fait tout un business en proposant des logements en dehors des normes minimales de salubrité et d’hygiène à des locataires qui sont des personnes qui viennent d’obtenir un statut de réfugié·e·s. » Pour autant, beaucoup de personnes en mal-logement expliquent que faute de mieux, elles ne peuvent que louer ce genre d’espace.
Tournai, c’est aussi une ville historique qui veut se redynamiser et qui cherche à attirer des investisseurs qui vont rénover d’anciennes habitations pour les louer. Il y a un phénomène de gentrification3 : les plus riches s’installent dans le centre et les plus pauvres sont progressivement incité·e·s (ou obligé·e·s voire rejeté·e·s) à vivre en périphérie.
Au quotidien, on remarque que beaucoup de propriétaires s’intéressent au monde étudiant : un kot ne demande pas les mêmes normes qu’un appartement. Il est possible d’obtenir plus de loyers pour des surfaces plus petites et la pression se fait de plus en plus sentir sur le marché immobilier local : « Ça permet aux proprios de se faire une rente, ils divisent les surfaces, touchent les loyers et basta. En conséquence, une grande partie des logements est occupé par des étudiant·e·s, et celleux-ci ne font que passer dans la ville pour une durée de 3 à 5 ans. Cela se répercute sur le tissu social qui peine à se renforcer, au sein d’une dynamique démographique déficitaire. Cela risque de devenir des quartiers dortoirs étudiant·e·s, sans qu’il y ait des ancrages territoriaux où les savoir-vivre peuvent se perpétuer », explique Hugo.
Pourtant, la nouvelle majorité en place depuis les dernières élections a lancé un projet qui semblait à l’origine ambitieux et intéressant : pour 10 logements créés ou rénovés à Tournai, 1 logement doit être mis en location via l’agence immobilière sociale (et donc le loyer est calculé sur base des revenus de la personne). On pouvait espérer que cette idée novatrice puisse par exemple résorber les listes d’attentes interminables pour des logements à bas ou moyen loyer mais dans les faits, les candidat·e·s locataires continuent d’attendre en moyenne 5 ou 6 ans avant de se voir attribuer un logement social. Cette mesure pourrait être une forme de solution face à la crise du logement seulement si elle est accompagnée d’autres mesures pour être réellement force de solution.
Sur le volet spécifique « migration », le dénombrement a mis en lumière l’impact du parcours migratoire sur le mal-logement à Tournai. La ville est située le long d’une route migratoire importante vers l’Angleterre et un des plus gros centres pour demandeurs d’asile en Belgique est installé dans la caserne Saint-Jean. Si on peut penser directement aux problèmes liés aux discriminations basées sur le racisme des propriétaires, le problème est structurel, ce qui le rend plus insidieux : lorsque les personnes qui sortent du centre se tournent vers ces logements privés et à « bas coûts ». « Il manque clairement une étape d’accompagnement entre les deux étapes et les logements à loyers abordables », explique Zoé.
« C’est compliqué parce qu’on sait que les gens ont vite besoin d’une adresse pour obtenir leur titre de séjour mais que peu de logements sont abordables, alors iels se passent les contacts des marchands de sommeil pour avoir un accès rapide à un logement, qu’importe son état. Il nous est arrivé d’accompagner un couple sortant d’un logement déclaré insalubre et d’avoir dans la même semaine un gars venant d’obtenir son statut de réfugié qui rentre dans ce même logement. »
« Il reste encore un nombre beaucoup trop important de gens, notamment des jeunes en situation de mal-logement ou qui squattent des canapés à gauche et à droite, et la précarité atteint désormais les jeunes travailleurs et travailleuses », conclut Hugo.
Tournai, c’est aussi une ville où le tissu associatif est fort et bien présent et où des dispositifs ont été mis en place : Housing First, collectif droit au logement, quatre maisons d’accueil dont une maison de vie communautaire, 2 accueils de jour en bas-seuil, etc. La ville fourmille de projets pour lutter contre ce mal-logement : « C’est bien mais pas encore suffisant », expliquent nos deux jeunes travailleurseuses sociaux.
« On peut se réjouir de voir des initiatives fleurir et des avancées significatives pour l’accès au logement : par exemple, dernièrement on a réussi à collaborer avec le Housing First pour faire reconnaître le parcours migratoire comme un parcours d’errance ; ce qu’il est ! C’est une avancée importante pour toutes les personnes qui peuvent prétendre à des logements en Housing First ! » rappelle Zoé.
Cette semaine, le collectif droit au logement, une association locale de promotion du logement a mené une action de grève dans le cadre de la journée mondiale du droit à l’habitat, afin notamment de déambuler dans les rues du centre-ville pour compter le nombre de logements vides dans les rues tournaisiennes. Pour rappel, en 2020, près de 30% du parc locatif du CPAS de Tournai était vide faute de moyens suffisants pour le rénover. La politique locale propose que ces logements soient vendus pour que des propriétaires les rénovent mais ça ne provoque pas un engouement.
« Je pense qu’on peut aller plus loin encore à Tournai : en proposant des coopératives de logements, des habitats légers, dans une optique communautaire ou pour les gens qui ne sont pas encore prêts à vivre dans des logements fixes après un passage en rue ou en errance, mettre en place des conventions d’occupation précaires pour permettre aux associations ou aux collectifs citoyens d’utiliser des bâtiments vides pour créer du lien social », termine Hugo.
Les élections approchent, le monde politique prépare son bulletin pour les prochaines échéances mais l’hiver approche et de nombreuses personnes le passeront sans logement ou dans des conditions désastreuses.
« Il reste du pain sur la planche » : sera donc le mot de la fin de cet entretien.