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Il est grand temps d’avoir un débat sur l’utilité de la prison. Entretien avec Luc Vervaet

En avril 2008, le Conseil des ministres décide d’accroître la capacité carcérale via la construction de sept nouvelles prisons, dont la méga-prison à Haren. Contre le mal endémique de la surpopulation qui touche les prisons belges, la construction de nouvelles prisons est le prétendu remède prescrit par les ministres de la Justice dans le cadre du « Masterlan Prisons et Internement ». Ce Masterplan fait fi de la question du sens de la sanction, de la peine de prison et du nombre de personnes qui n’ont rien à y faire. Un travail de réflexion doit être repris pour arriver à expérimenter un autre modèle d’accompagnement collectif des transgressions de l’interdit qui inclut leur auteur au sein de la société. Pour parler de la prison et de son monde, nous sommes allés à la rencontre de Luc Vervaet, militant anti-prison, auteur entre autres de « Guantanamo chez nous ? ». Luc a longtemps enseigné en prison.

Peux-tu expliquer ton lien avec la prison, pourquoi tu as investi cette question alors que généralement la tendance commune est de fuir ou d’ignorer l’existence de cette institution ?

Luc : « Quand on parle de prison, tout dépend du point de vue. Ce n’est pas objectif. On prend une position par rapport à une situation. J’ai forgé mon point de vue des expériences que j’ai faites. Il y a le point de vue des prisonniers, des gardiens, des familles, de la justice, de la police. Plus jeune, dans les années 70, j’ai connu la prison de l’intérieur pendant un mois pour des activités politiques. Cette expérience m’a marqué. La prison a toujours été présente dans ma vie militante et quand j’ai eu la possibilité de donner cours dans des prisons, j’ai saisi cette occasion. Ensuite, après le 11 septembre 2001, j’ai été confronté à la problématique des terroristes. Cette catégorie a été soumise à un régime spécial d’isolement. J’ai été contacté par des familles qui ont sollicité mon intervention pour des visites et des contacts. C’est une problématique qui m’occupe toujours actuellement. Ces deux choses ont donné forme à ce que je pense des prisons. »

Comment se passe l’enseignement en prison ?

Luc : « Les besoins sont très grands, il y a beaucoup d’analphabétisme. Il me paraissait important d’essayer de donner un maximum d’atouts à ceux qui vont en sortir. Par exemple à Bruxelles, on demande une connaissance du néerlandais. Comme c’est ma langue maternelle, je me suis dit que c’était bien de transmettre ça. Il y a aussi une bonne raison d’apprendre le néerlandais, cela permet de comprendre les ordres. Ce sont des petits atouts et j’ai essayé de donner un maximum de connaissances aux personnes qui voulaient suivre des cours. Je me suis rendu compte qu’il y a beaucoup de vernis et de faux-semblants. En prison, seulement une petite minorité a accès aux cours. Nos prisons ne sont pas faites pour donner une chance aux condamnés d’évoluer et de s’émanciper. Presque toutes les formations dans les prisons sont sous-traitées à des associations et la manière dont c’est organisé montre que ce n’est pas pris au sérieux. Les ministères de l’Enseignement devraient prendre ça en charge et investir dans des structures stables. Les associations qui s’occupent de ça ne sont pas considérées. Les subsides doivent être renouvelés chaque année et les associations restent sans garantie sur un travail à long terme. »

Ce monde de la prison est méconnu de la plupart de nos concitoyens, comment tu leur présenterais la réalité ?

Luc : « La réalité de la prison est très complexe. D’abord la prison, c’est la prison des pauvres. C’est clairement fait pour ceux d’en bas. Je n’ai jamais rencontré un banquier en prison. Ce sont les plus exclus et les plus marginaux qui sont là. En ce moment j’écris un livre avec mon ami Jean-Marc Mahy qui est un ancien détenu. Ensemble, nous essayons de retracer le combat que nous avons eu en commun autour de la prison pédagogique de Tongres. Cette prison a été fermée en 2005 pour vétusté et une de ses ailes avait été transformée en musée. Chaque cellule avait été aménagée pour représenter une émotion : le temps qui passe, la solitude, la frustration, la justice, le quotidien… Cet outil pédagogique était le seul en Belgique qui permettait de montrer ce à quoi peut ressembler le quotidien en détention : les différentes cellules, les douches, la promenade ou la surveillance. »

Faute de subsides, la prison musée de Tongres a fermé ses portes en novembre 2008. En lieu et place, les ministres de la Justice et de l’Intérieur de l’époque ont réaffecté cette prison en vue d’y accueillir près de 35 jeunes délinquants. Ce choix illustre une politique sans perspectives vis-à-vis de la délinquance en Belgique. Ce n’est pas en remplaçant la prison musée de Tongres par un centre pour jeunes délinquants qu’on désengorgera les prisons pour adultes de demain.


Prison Musée de Tongres – Photo de Jean Pierre Beké

Luc : « Des ex-détenus y ont organisé des visites guidées pour des jeunes en difficulté, avec des résultats remarquables. Une visite à la prison de Tongres valait bien plus que tous les discours moralisateurs que on peut tenir à des jeunes. Ils étaient confrontés à la réalité carcérale bien moins séduisante que les récits de fiction ou de copains qui « crânent » au sortir d’une expérience d’enfermement. Il y a eu plus de 200 000 mille visiteurs. Nous demandions que la prison musée de Tongres soit conservée et développée en tant qu’outil d’un réel projet pédagogique de prévention. C’était la seule prison ouverte au public. Sa fermeture est scandaleuse. Ils ne voulaient pas de la prévention. Ils ont fermé une voie qui empêche de remplir justement les prisons.»

La prison de Tongres était la plus vieille prison du pays où pour la première fois on a introduit le régime d’enfermement cellulaire. C’est Édouard Ducpétiaux qui va introduire ce régime américain en Belgique. En 1830, le gouvernement provisoire le nomme comme inspecteur général des prisons et dès 1832, il réforme les « maisons d’aliénés ». Ducpétiaux pensait que la prison devait régénérer les détenus par l’expiation, l’organisation du travail, l’enseignement religieux élémentaire et enfin l’isolement continuel des prisonniers. Il milita donc pour l’adoption du système cellulaire. Cet emprisonnement séparé remplaçait, selon lui, plus efficacement la peine de mort. Il s’inspira des idées de Jeremy Bentham sur le panoptique, un principe de surveillance qui fonctionne sur le modèle du « voir sans être vu ». C’est un dispositif qui vient des usines. Les contremaîtres supervisaient tous les ateliers depuis un point central. Ce système a été appliqué dans les prisons où d’un point central, les prisonniers étaient observés sans voir l’observateur. Le contrôle est dès lors intégré par les surveillés qui savent qu’ils sont observés. L’objectif est de remplacer la force physique et la violence par une contrainte de surveillance. Ducpétiaux a mis en pratique ses principes pour la première fois dans les années 1840 à la prison de Tongres : isolement total du détenu, silence absolu et aucun contact entre les détenus parce qu’ils pouvaient se contaminer. À la prison de Saint-Gilles, les détenus portaient tous une cagoule dans un silence absolu. Le système Ducpétiaux était une combinaison entre l’usine et le monastère. Les suicides vont se succéder.

Malgré la construction de nouvelles prisons, la surpopulation reste pourtant constante : plus on construit de prisons, plus la surpopulation augmente ! L’exemple belge le montre assez bien : les 1462 places supplémentaires construites entre 1997 et 2005 (à travers les trois nouvelles prisons d’Andenne, Itre, Hasselt et l’extension de capacité de la prison de Nivelles) n’ont en rien empêché la surpopulation d’augmenter. Si on ne s’attaque pas aux causes structurelles de celle-ci, on ne la réduit pas.

Comment analyser la politique de l’État sur cette question ?

Luc : « Depuis 2008, toute la politique carcérale vise à la construction de nouvelles prisons. On pensait qu’après deux cents ans de cette logique, le temps de se poser la question de la pratique politique de la prison était venu. Qu’on allait remettre en question certaines pratiques de détention et oser dire que la prison est quelque chose qui n’est pas une solution, qu’elle ne résout rien, qu’elle est une concentration de misère, de maladie, d’illettrisme, une école du crime ! Qu’est que vous voulez qui sorte de ça ? Il y a un taux de récidive entre 50% et 60%. Si vous avez un hôpital ou une école qui donne un chiffre pareil pour son bilan, on vous dira : « Fermez ça tout de suite ! » Pour les prisons, ce n’est pas le cas. Il est grand temps d’avoir un débat sur son utilité. Sur l’évolution actuelle, il y a deux choses importantes. Au début, la prison c’était pour adapter et intégrer les individus à la société industrielle. On voulait les discipliner pour qu’ils puissent travailler dans les usines. Ce facteur ne joue plus, les grandes concentrations industrielles n’existent plus. Ce n’est pas le chômage de masse et l’emploi précaire qui peuvent réintégrer les individus qui sont passés par la case prison. On n’a plus besoin de ces gens. C’est devenu comme des déchets, on les stocke et on empêche qu’ils ne s’échappent. La vision originale de Ducpétiaux, c’est fini. La deuxième chose importante dans l’évolution de la prison, c’est la commercialisation : la mise sur le marché capitaliste des prisons. Il y a des intérêts énormes qui se sont créés autour de grandes concentrations d’entreprises de la construction. Le consortium Caffasso pour la construction de « la prison-village » de Haren est un bel exemple. Il est composé de sociétés de construction et de banques internationales qui ont misé sur le secteur pour faire du fric. C’est un aspect où il y a vingt ans tous les politiciens auraient dit : « Non pas question, le secteur des prisons doit rester à la société, c’est quelque chose de public, on ne touche pas à ça. » Maintenant avec les PPP (partenariat public privé), les investissements, la construction, le design et le management des prisons sont dans les mains du privé. En plus il y a aussi une mise en avant systématique de la mission économique de la prison. À chaque prison qu’ils construisent, il y a une déclaration sur les perspectives d’emploi que ça ouvre. On parle de plus en plus de la mission économique de la prison.»

Mais alors quelles sont vraiment les intentions avec cette politique carcérale ? Veulent-ils vraiment résoudre le problème ?

Luc : « Je me demande si au final, il n’y a pas des intérêts à ce que cette situation se prolonge. C’est sans doute une bonne manière d’affirmer son autorité. Ce n’est pourtant pas une solution ni pour les victimes ni pour les auteurs d’acte criminel. La prévention est fondamentale, mais pas que. Nous devons bloquer la construction de nouvelles prisons, autrement ; on sera de nouveau reparti pour cinquante ans vers la même voie absurde qu’on connaît aujourd’hui.»

À propos de la construction d’une prison à Haren, il y a cette fois une opposition ?

Luc : « Cela fait pas mal d’années que l’on se bat contre cette prison et ce n’est pas fini. On a fait un grand front pour s’opposer à ce projet. Pour la première fois, les autorités font face à une opposition. Il y a eu dernièrement des actions pour empêcher les travaux. Il faut aussi dire que la prison, ce n’est pas qu’une question de mur et de bâtiment. C’est aussi un problème dans nos têtes. Si dans l’opinion publique, on pense qu’un crime et un délit doivent absolument correspondre à faire de la prison, alors rien ne peut vraiment changer. Tant que ce raisonnement reste majoritaire, c’est foutu. Il faut le renverser ; il faut aussi lutter contre ce raisonnement. La lutte contre les idées de ce type est fondamentale.»

Es-tu pour l’abolition des prisons ?

Luc : « Cette question ne m’intéresse pas. Il faut observer la réalité actuelle. Il y a une explosion carcérale. Il y a de plus en plus de prisons et de personnes incarcérées. Et cette tendance est mondiale, c’est la grande tendance du système actuel. Ces constructions de prisons correspondent à une situation de crise du capitalisme. Le crime vient de l’inégalité et tant qu’il y aura de l’inégalité et de la répression, l’injustice régnera. Je pense que la prison finira par disparaître, cela ne pourra pas continuer à être la manière principale de répondre à des problèmes sociaux. Pour instaurer une alternative à la prison, il faut instaurer et travailler à une relation entre les victimes et les auteurs de crime. Il faut parler d’une justice réparatrice, où on arrive à un partage de la peine et de la souffrance. Ce qui nous amènera à des formes nouvelles de justice viendra par la pratique. Il faut créer et inventer à travers la lutte, essayer ainsi de construire une société humaine.»

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