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Junior, Yves, Omar… des logiques de contrôle d’un passé colonial qui n’est pas passé !

Par Aliou et Amine

En Belgique, nous avons une longue histoire coloniale avec un passé colonial qui n’est pas tellement passé. Celui-ci se répercute au quotidien au sein des politiques d’État qui sont décidées, et ce souvent contre toute personne noire, maghrébine, arabe, etc. Nous ne sommes pas dans des logiques de droits, mais plutôt dans des logiques antidémocratiques, institutionnelles, et structurellement racistes. Pour pouvoir mettre en exergue ces logiques, plusieurs structures y participent : l’appareil de police, l’office des étrangers, le ministère de l’Intérieur et l’État de manière générale.

L’office des étrangers constitue en lui seul un état dans l’état puisqu’il possède la compétence de produire des visas et décide ainsi d’octroyer ou pas le droit d’entrée sur le territoire belge. C’est ainsi qu’au départ de l’office des étrangers et au travers des ambassades de Belgique à Kinshasa et Abidjan, représentants légaux de la Belgique, des documents ont été fournis à Junior et Yves leur permettant d’entrer légalement sur le territoire belge. Cependant, dès leurs arrivées légales à l’aéroport de Zaventem, munis de tous les documents nécessaires (ex. passeport, visa, accord de l’université, etc.) et non nécessaires (ex. document attestant d’un lieu du logement privé en attendant de trouver un logement à l’université), ils sont incarcérés par la police des frontières pour des raisons absolument absurdes.

Dès son atterrissage sur le sol belge, Junior a dû passer par l’école avant l’école. En effet, à son arrivée, il est accueilli par la police des frontières qui l’invite à passer un examen oral en économie non pas auprès de l’université où il compte étudier l’économie, mais plutôt auprès des policiers s’exprimant en néerlandais. Ces derniers lui ont demandé par exemple qui était Dimitri Mendeleïev[1]. Des questions en Chimie figuraient également dans cet examen.

En ce qui concerne Yves, la police des frontières a estimé que celui-ci a obtenu le visa le 10 octobre 2021 et que son arrivée en Belgique n’a eu lieu que le 27 octobre 2021. Ainsi, la police a décidé du sort de l’étudiant sans la moindre prise de contact avec l’université qui l’avait autorisé à s’inscrire et à venir légalement en Belgique. Bien que Yves ait été en retard par rapport à son cursus universitaire, il avait encore la possibilité de s’inscrire jusqu’au 30 octobre 2021. Sans son incarcération, Yves aurait pu finaliser son inscription et continuer son processus scolaire de manière tout à fait normale.

Du contrôle de l’information au contrôle de la circulation

Les cas de Junior et Yves traduisent clairement une politique de contrôle stricte lors des arrivées en Belgique en provenance des anciennes colonies comme le Congo, le Rwanda, le Burundi ou de tout autre pays dont sont issus les nègres et les bougnoules. Nous sommes ici dans des logiques coloniales et historiques instaurées pour servir des intérêts étatiques. Celles-ci datent de la période allant de 1876 à 1960 où la production de la propagande coloniale belge s’est accompagnée d’un contrôle strict de l’information. Cela signifie que l’état colonial choisissait ce dont il avait envie de partager comme information avec son peuple belge concernant ce qui se déroulait réellement sur la colonie et comment celle-ci était gérée. Ce contrôle a permis le succès de la propagande coloniale. Trempé par son état qui lui faisait croire que le Congo était la plus belle colonie, le peuple belge a été stupéfait à l’annonce de l’indépendance du Congo en 1960. Pour lui, il ne fallait pas céder une colonie si elle était réellement belle.

Ce contrôle strict de l’information s’accompagne d’un autre contrôle de la circulation de personnes colonisées vers la métropole et vice versa. Ce contrôle ne s’effectue pas de la même manière puisque d’un côté, il y a quasiment une interdiction de circulation, c’est-à-dire qu’il était quasi impossible pour les colonisés de quitter la colonie pour venir en Belgique. De l’autre côté, les Belges devaient passer par des procédures administratives, mais facilitées pour pouvoir se rendre dans les colonies. Un des défis du colonisateur était de recruter des jeunes belges qui pourraient et voudraient s’engager dans des carrières coloniales. Une question fondamentale se pose : comment ce contrôle de circulation s’est illustré réellement durant l’histoire coloniale belge ?

Malgré la mission quasi impossible pour les colonisés de pouvoir se rendre en Belgique, certains d’entre eux ont tout de même réussi à le faire. D’autres y ont été contraints malgré eux et ont été placés dans des zoos humains. Le premier zoo date de l’époque du roi Masala en 1884, le deuxième a vu le jour en 1894 à Anvers et le troisième en 1897 à Tervuren. La Belgique voulait que ces zoos humains servent de moyen de mise en contact entre la population belge et les colonisés et où ces derniers décrivaient ce qu’ils vivaient au Congo. Cependant, la réalité démontrait que ces zoos étaient purement des mises en scène puisque les personnes qui étaient mises dedans avaient l’injonction de jouer les sauvages et de matérialiser ce qui pourrait être la civilisation pour eux, ou en tout cas ce que la Belgique, dans toute sa gentillesse, a bien voulu apporter au Congo. Ces personnes forcées à l’immigration étaient les premières arrivées en Belgique.

Une autre catégorie de personnes obligées à se déplacer malgré elles, les marins. Ils ont beaucoup travaillé comme Docker, notamment au port d’Anvers. Ces personnes faisaient le trajet en Bateau depuis Matadi jusqu’à Anvers.

Il y a également ce qu’on appelle les « boys » qui ont été pris par les colons et amenés en Belgique. Le plus connu d’entre eux est Paul Panda Farnana. Certaines sources expliquent que ce Boy était un cadeau de la part du colonisateur lieutenant Derscheid à la famille Derscheid. Farnana est arrivé en Belgique à l’âge de 8 ans dans une famille bourgeoise où il a pu profiter des réseaux de celle-ci pour faire démarrer son lobbying. Farnana fut accueilli par Louise Derscheid, une membre de la famille Derscheid qui va s’assurer de sa scolarisation. Durant celle-ci, il a été extrêmement brillant et cela va l’aider à devenir un des meilleurs lobbys auprès du ministère des Colonies et par conséquent, influencer un certain nombre de décisions depuis la métropole vers la colonie. Un des exemples de ce lobbying est la commutation en 1921 de la peine de mort de Simon Kimbangu, résistant à la colonisation belge, en une peine à perpétuité.   

Farnana a un eu impact particulier, de par son niveau d’étude et de son sens politiques et idéologiques du panafricanisme. Il va créer par la suite ce qui va s’appeler «  l’Union congolaise » et qui a été la première association noire en Belgique. Elle organisait des formations à destination des rares personnes congolaises présentes en Belgique. Cette dynamique de contestation a fini par attirer l’attention sur lui et par conséquent, de nombreuses critiques. Pas d’élites, pas d’ennuis ? Le modèle colonial belge n’a jamais été un promoteur de l’éducation pour les personnes colonisées, surtout celle à haut niveau. La présence de Farnana et de certains autres Congolais a eu une influence sur le regard que portaient certains Belges vis-à-vis des colonisés.

L’arrivée en Belgique de ce qu’on appelait à l’époque « les évolués » était une étape déterminante dans le désenchantement qui a suivi la rencontre avec « la civilisation belge ». Les évolués étaient une catégorie de colonisés choisie par le colonisateur, destinée à un avenir meilleur et servant les intérêts de celui-ci. Le terme « évolué » renvoie à un paternalisme flagrant où le colonisateur cherchait à distinguer les qualifiés, évolués et civilisés des autres qui ne le seraient pas. Cette distinction n’avait qu’un seul objectif : diviser pour mieux régner ! Arrivée en Belgique, cette catégorie d’évoluée était censé découvrir la civilisation belge dont on leur avait tant parlé. Cependant, ils ont déchanté face au paradis promis. Ils se sont retrouvés dans un moment de déconstruction mentale pour absorber ce choc. Patrice Lumumba a fait partie de cette catégorie d’évolués. Ce désenchantement est à mettre en parallèle avec l’arrivée des tirailleurs africains en France où ils découvrent que les « blancs » sont en guerre, s’entretuent, manquent parfois de courage lors de batailles au front. C’est loin de la civilisation paisible qu’on leur avait promise.

Face à cela, le colonisateur n’a pas d’autre choix que de resserrer les boulons et de durcir encore les conditions d’accès aux personnes colonisés. Pas d’élites, pas d’ennuis… Les arrestations de Junior, Yves et Omar s’inscrivent clairement dans ce contrôle strict des arrivées et des sorties depuis la colonie et d’autres pays d’Afrique. Pour contrer ces pratiques, il faudrait pouvoir mettre en place des dynamiques permettant d’aborder ces sujets afin de construire une lutte concrète et effective. Comment la lutte a payé dans le cas de Junior et Yves ?

Mobilisation et communication

Que s’est-il passé à l’arrivée de Junior et Yves ? La police a procédé à l’arrestation de Junior et a prévenu l’office des étrangers de cet acte. Celui-ci, anciennement appelé police des étrangers, décide de l’enfermer au centre fermé du Caricole afin de pouvoir l’expulser. Pour empêcher cela, un réseautage a été mis en place pour rassembler des sympathisants. L’objectif était de produire des éléments de communication, afin d’informer la population de l’absurdité des arguments utilisés pour l’incarcération de l’étudiant. La motivation était grande et la presse s’est rapidement saisie de cette affaire qui a pris une dimension internationale au point où l’élite politique congolaise et leur président de la République ont pris position condamnant cette arrestation. C’est ainsi que le collectif a réussi à libérer Junior et donc faire flancher l’état raciste belge.

Dans le cas d’Yves, à la date du jeudi 4 novembre, l’office des étrangers a été débouté sur décision du Conseil du Contentieux des étrangers qui avait jugé que l’étudiant était entré légalement sur le territoire belge. Le vendredi 5 novembre, l’office des étrangers a réintroduit une autre requête d’expulsion sur base d’autres éléments. Cependant, c’est encore question du retard qui a été à pointé. Faute de vrais nouveaux éléments, le CCE a rejeté cet argument estimant qu’Yves n’était pas en retard et qu’il fallait impérativement procéder à sa libération le plus rapidement possible. Faute de quoi, il raterait davantage de cours et cela pourrait mettre en péril son année scolaire. De sources officieuses, le CCE s’est montré furieux en apprenant que l’office a décidé d’introduire la nouvelle requête. Cela signifie que cet organe étatique n’a pas respecté la décision du CCE de libérer Yves. 

Le collectif de soutien s’est assuré de prendre contact avec l’université (la faculté de communication, le rectorat, etc.) afin de vérifier que l’ensemble des documents fournis étaient en règle. L’avocate d’Yves s’est basée sur la légalité de ces documents pour prouver que l’inscription d’Yves était en règle. À la lumière de ces éléments que le CCE s’est à nouveau statué sur une décision déboutant encore une fois l’office des étrangers et demandant une libération immédiate de l’étudiant. À sa sortie, Yves était affaibli psychologiquement et physiquement. La nourriture au centre fermé n’était pas saine et l’ambiance n’était pas paisible. Où est la civilisation ?

Veille et suivi pour un espace de travail serein

Aujourd’hui, ils sont tous les deux libres, aux études et ont des logements. Ils ont été prévenus qu’à l’avenir, ils devraient être vigilants lors du renouvellement de la demande de visa. Plusieurs conditions devront être respectées (validation d’un certain nombre de crédits, paiement d’une redevance, réalisation des démarches dans les temps, etc.). Le collectif de soutien suivra de près l’évolution des deux étudiants et veillera à leur apporter le soutien nécessaire.

Junior et Yves ont besoin de davantage d’espace pour pouvoir travailler et réussir ce pourquoi ils sont venus faire en Belgique. C’est ce qui explique qu’ils réalisent de moins en moins de sorties médiatiques. 


[1] connu pour son travail sur la classification périodique des éléments, publiée en 1869 et également appelée « tableau de Mendeleïev

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