La crise sanitaire et économique en cours a largement contribué à rappeler l’extrême vulnérabilité des sans-papiers en Belgique. Leur situation concrète demeure celle de la relégation et de l’absence de droits. Or sans le travail des personnes sans-papiers, des rouages entiers de notre économie se trouveraient grippés. L’actuelle politique de non-régularisation, en les maintenant dans l’absence de protections et de possibilités de se défendre, entretient sans frein leur surexploitation économique.
Par Anas Amara et Martin Van der Elst
Travailleurs essentiels corvéables à merci et armée de réserve, les sans-papiers sont les premières victimes du racisme d’État. Les violences institutionnelles qu’ils subissent (Frontex, Médusa, opérations Push-back, maintient dans la clandestinité, violences policières systémiques, etc.) sont au cœur des recompositions contemporaines du suprématisme blanc à l’échelle européenne (Schild & Vrienden, Jürgen Congins, Vlaams Belang, Jeunesses Identitaires, Rassemblement National, Ligue du Nord, etc.). Le modèle australien de Francken est aujourd’hui devenu hégémonique, c’est ce modèle qui est au cœur du nouveau projet de loi défendu par Sammy Mahdi et qui est le moteur du racisme d’État à l’échelle européenne (Schengen) : renforcement des expulsions, nouvelles restrictions sur les dernières possibilités de migration, criminalisation et chasses aux migrants et sélection d’une migration ultralibérale utilitariste et raciste (asile pour les seuls chrétiens d’orient lors de l’« opération d’Alep », prolongation du séjour des étudiant. es étrangers/étrangères d’un an, etc.).
Libéralisme utilitariste et racisme constituent ainsi le terreau sur lequel l’extrême-droite ne cesse de prospérer depuis plusieurs décennies. Les sans-papiers sont au croisement de toutes les formes de racisme. Déchus de la citoyenneté/nationalité et donc de toutes possibilités de contester les politiques dont ils sont les victimes, emprisonnés dans une impunité sans frein la plupart n’osent pas témoigner. Pourtant ils survivent ici, travaillent ici pour l’unique profit des patrons, ont des enfants qui subissent dès le plus jeune âge les violences systémiques, y compris les violences policières. La crise sanitaire en cours a révélé l’ampleur du racisme environnemental et médical que subissent les sans-papiers. Les violences physiques lors des hospitalisations, le maintien dans l’absence de soin, les maltraitances et traitements dégradants, l’insalubrité des logements, etc. Chaque jour les occupant.es du Béguinage, de l’ULB, de la VUB et du « See U », hospitalisés en grève de la faim dans les hôpitaux bruxellois font les frais de ce racisme d’État dont on ne parle jamais. L’actuelle campagne de vaccination des sans-papiers est le signe le plus insupportable de ces violences d’État : ils ne sont pas soignés ni pris en charge au sein d’une politique de santé publique, qui instaurerait un droit à la santé, au suivi médical, à la protection sociale, un droit au travail ainsi que de retrait.
Les sans-papiers sont traités comme une pure force de travail dont il faut minimalement assurer la survie et sa reproduction. Cette politique vaccinale intégralement cynique et utilitariste est en continuité historique avec le capitalisme esclavagiste et coloniale. Depuis le début de la pandémie, les collectifs de sans-papiers n’arrêtent pas de répéter qu’il n’y aura pas d’immunité collective sans régularisation, qu’ils ne sont pas des corps sans droits et sans dignité, qu’ils doivent être protégés comme n’importe quel autre être humain. Mais ils ont été laissés bien seuls.
L’Office des Étrangers constitue un des rouages essentiels du maintien de ce racisme d’État. Ce n’est pas tout de dire que la politique de non-régularisation mise en œuvre par cette agence d’État est marquée du sceau de l’arbitraire. Le caractère aléatoire et partial de la pratique de l’O.E trouve son chiffre dans la politique de la race mise en œuvre et basée sur les besoins de main-d’œuvre en fonction des pays de provenance. Il faut le dire clairement : la politique de tri de l’O.E est raciste. Le cas par cas démontre clairement cette politique de sélection de la main-d’œuvre par la régularisation du séjour. La dimension fondamentalement raciste des politiques de non-reconnaissance des sans-papiers n’est jamais aussi palpable que lors des campagnes de régularisation.
Les critères de régularisation, qu’ils soient étendus dans le cadre d’une grande campagne de régularisation (comme en 2000 et en 2009) ou soumis à l’arbitraire de l’Office des Étrangers, n’ont jamais réellement instauré une politique d’égalité. Ils ont plutôt défini une stratification raciale de qui peut rester et travailler et qui doit être maintenu dans la clandestinité. Les collectifs de sans-papiers en lutte issue de 2009 tout autant que des collectifs comme Sans-Papiers Belgique ou aujourd’hui l’USPR peuvent témoigner de l’impact de cette biopolitique raciste sur leur existence quotidienne. Dans un pays raciste comme la Belgique, en appeler à « raccourcir les délais des procédures » et à instaurer des règles claires est une folie. En effet, depuis la fin des années 1990, toutes les voies de migrations n’ont eu de cesse d’être refermées et la migration criminalisée. Les critères de régularisation de l’O. E. ont accompagné ce mouvement de fermeture des frontières intérieures et extérieures, tout comme le démantèlement du droit d’asile. Dans un tel contexte, le chaos administratif relatif et l’excès de paperasseries sont probablement les derniers éléments sur lesquels les sans-papiers peuvent (encore) s’appuyer pour parvenir à maintenir un minimum de présence. L’administration belge était d’ailleurs très efficace pour expédier les procédures d’exclusion de la citoyenneté et du territoire des migrant.es juifs/juives durant la Seconde Guerre mondiale. On sait ce qu’il en a été sur le plan nécro et thanato-politique génocidaire. Dans une telle conjoncture dont on sait qu’elle va encore s’aggraver dans les années à venir tant au niveau européen qu’au niveau Belge (NVA-VB, MR-de-Bouchez), la lutte pour la régularisation collective menée par les sans-papiers doit être soutenue comme un des points les plus avancés de la lutte anti-raciste et anti-fasciste.
Les appels à l’instauration de critères clairs et permanents auront plus de chance d’aboutir politiquement s’ils portent sur les exigences des luttes en cours, à partir des situations concrètes des occupant.es. En effet, la clarté espérée d’un cadre légal ne peut être un argument retourné contre les occupant.es eux/elles-mêmes en les accusant de consentir à des formes de régularisation passagère soumise au pouvoir discrétionnaire du secrétaire d’État. D’accord pour des critères clairs et permanents, mais pour quelle politique migratoire ?
La politique de Sammy Mahdi est cohérente, ce qui manque aujourd’hui est de savoir sur quelle base une politique oppositionnelle peut être instaurée. Souci démocratique légitime, un cadre législatif qui définirait des critères clairs, permanents, mais aussi ouverts, justes, instruits des conditions réelles d’existence des sans-papiers en Belgique ainsi que des enjeux migratoires contemporains et à venir (déséquilibres nord-sud, violences postcoloniales, défaut de souveraineté économique des états anciennement colonisés, conséquences des économies de dépendances néocoloniales, guerres néocoloniales, nouvelles politiques extractivismes, économie politique ultralibérale, impérialismes multipolaires, nouveau régime climatique, etc.) viendra alors en appui, pour soutenir la régularisation collective des grévistes de la faim et servir de base pour instaurer une autre politique migratoire, une politique à distance du libéralisme autoritaire et raciste.
C’est en ce sens que peut être lue la proposition de l’ULB d’extension et de prolongation du séjour pour les grévistes de la faim. C’est aussi ce que nous apprend l’histoire des luttes des sans-papiers en Belgique. Le prolongement du séjour des occupant.es qui conduirait à leur régularisation collective est dès lors l’étape nécessaire sur laquelle les attentes démocratiques de la société civile, des syndicats, des universités, des partis politiques… pour créer ce cadre doivent aujourd’hui reposer. Et ce en se situant résolument du côté des occupant.es qui sont, avant toute chose, les victimes directes de l’arbitraire de l’Office des Étrangers, de la fermeture de toutes les voies sures et légales de migration et du racisme d’État. Étendre des voies de migration sures et légales implique alors nécessairement la protection politique et juridique des migrant.es présent. es en Belgique.
Rejoignez-nous le dimanche 13 juin à partir de 10 h 30 au Mont des Arts (AG à 12 h) et le dimanche 20 juin à 15 au départ du béguinage pour une grande marche de la dignité pour la régularisation vers les occupations de ULB et de la VUB.