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LES RESPONSABLES POLITIQUES NE PEUVENT CONTINUER A CAUTIONNER LES VIOLENCES POLICIÈRES !

grayscale photo of police officers

Lettre ouverte des organisations aux élu·e·s de Bruxelles

Il y a un mois, le dimanche 13 septembre, avait lieu la Grande manifestation pour la santé organisée par le collectif La santé en lutte et soutenue par une vingtaine d’organisations, collectifs et centrales syndicales. Cette manifestation, qui a rassemblé près de 7.000 personnes, appelait les autorités publiques à reconnaître à la santé son statut de droit fondamental, à remettre le « soin » au centre de leurs préoccupations et à le valoriser comme il se doit.

À cet appel, les autorités n’auraient pas pu plus mal répondre. Alors que la manifestation n’était pas encore arrivée à sa fin, la police a chargé les personnes encore sur place. Une centaine de personnes s’est retrouvée encerclée au Mont de Arts par des policiers en armure, matraque en main, et une centaine d’autres a été repoussée vers la Place Royale et la rue de la Régence. Là, comme le décrit l’article sur le sujet paru dans Le Soir, les manifestant·e·s qui étaient en train de se disperser (mais aussi des personnes qui n’avaient rien à voir avec la manifestation) ont eu à subir des violences de la part de la police et des arrestations arbitraires. Plus d’une dizaine de témoignages concordants relatent la brutalité injustifiable qu’ont dû subir plusieurs personnes qui n’étaient manifestement coupables d’aucune infraction. Au moins trois personnes ont été blessées et ont dû subir un arrêt de travail les jours suivants et ont été, en plus, poursuivies pour « rébellion ». Trente-deux autres personnes ont été arrêtées administrativement, de manière tout aussi arbitraire. Plusieurs témoignages relatent que les policiers ont reçu l’ordre d’arrêter spécifiquement les personnes supposément « gauchistes », « d’extrême gauche » ou anarchistes. Le fait que le commissaire Vandersmissen ait permis qu’une personne qui ne fait pas partie de la police participe activement à la répression policière (sans que ce soit la première fois!) et s’en prenne lui-même aux manifestant·e·s témoigne du sentiment d’impunité qui régnait dans les rangs de la police lors de cette manifestation.

« Que fait la Ville ? »

Comme l’a rappelé La santé en lutte dans plusieurs communiqués, les charges injustifiées de la police contre ce rassemblement et les violences qu’ont subies plusieurs personnes sont une attaque contre l’ensemble de la manifestation et contre notre droit à défendre nos revendications. Le fait de charger le rassemblement alors que se terminaient simplement les discours est un acte politique clair d’intimidation. Ce qui s’en-suit comme violences policières est le résultat de cette agressivité. Or, à moins de supposer que la police puisse aujourd’hui être considérée comme une institution autonome, la responsabilité de ses agissements relève dans ce cas-ci de la Ville de Bruxelles elle-même. Alors que fait la Ville ? Que fait le bourgmestre Close ? Que fait le Collège communal ? Que font les partis de l’opposition ?

Nous savons que, dans les jours qui ont suivi la manifestation, des élu·e·s de la majorité ont cherché à questionner publiquement le cabinet du bourgmestre sur ces faits et qu’elles/ils en ont été dissuadé.e.s par d’autres membres de la majorité. Cela est déjà, en soi, extrêmement inquiétant.

De plus, une interpellation citoyenne rédigée par les personnes qui ont été arrêtées voire blessées ce jour-là, a été déposée auprès de la Ville. Toutefois, la Ville a enchaîné les prétextes pour empêcher cette interpellation, malgré le fait que celle-ci respectait manifestement les critères légaux, tant sur l’objet qu’en termes de délais et de signatures par des personnes domiciliées sur le territoire de la commune. En effet, dans un premier échange la Ville a prétexté que l’interpellation n’était pas recevable sous prétexte que les victimes n’y sont pas elles-mêmes domiciliées ! Après qu’il fût rappelé aux fonctionnaires communaux que le règlement communal n’interdisait en rien l’interpellation du Conseil par des personnes non domiciliées sur la commune tant que l’interpellation était signée par vingt personnes qui le sont, la Ville a abandonné cet argument pour en avancer d’autres tout aussi infondés : 1. L’interpeller sur ces arrestations et les fichages qui en découlent relèverait d’une question d’intérêt particulier, 2. La police ne serait pas une compétence communale et 3. Les arrestations et le dispositif policier seraient légitimes.

« Les actions de la police ce jour-là constituent, de fait, un enjeu d’intérêt communal »

La commune considère donc que l’enjeu de suspicions de violences policières et d’arrestations arbitraires sur son territoire ne relève pas d’un intérêt communal malgré le fait qu’a été rappelé de multiples fois que ces violences s’inscrivent d’une part dans un comportement problématique structurel de la police bruxelloise en manifestation et d’autre part que ces comportements ont eu lieu alors que la manifestation était autorisée par la Ville et que – contrairement à ce que prétend le courrier du fonctionnaire communal – la charge a eu lieu une demi-heure avant l’heure de fin de l’autorisation à manifester.1 Les actions de la police ce jour-là sont donc visiblement allées à l’encontre des autorisations communales en portant atteinte à la manifestation dans son ensemble, ce qui constitue, de fait, un enjeu d’intérêt communal. Sur la question du fichage, cette question est également d’intérêt général puisqu’elle relève de la liberté de manifester et que des actions policières arbitraires telles que celles-ci sont de nature à dissuader les citoyen·ne·s d’user de ce droit à l’avenir.

« Prétendre, à la dernière minute, que le Conseil communal n’est pas compétent sur ces sujets est une tentative flagrante d’empêcher l’interpellation d’avoir lieu »

Ensuite, la Ville avance comme argument que le Conseil communal ne serait pas compétent sur ce sujet car la gestion de la police relève du Conseil de police. Tout d’abord, même si la police ne relève pas directement des compétences du Conseil communal, celui-ci définit toutefois la politique de police et peut donc se saisir de cas graves tels que celui-ci, envoyer un signal fort à la zone de police et est compétent pour définir ses orientations générales. Ensuite, à l’évidence, le Conseil communal est à la fois le lieu où les citoyen·ne·s sont censé·e·s pouvoir interpeller les élu·e·s sur de tels sujets (comme cela a par ailleurs été le cas à de multiples reprises par le passé, que ce soit à Bruxelles-Ville ou dans d’autres communes) et le lieu qui rassemble les élu·e·s bruxelloi·se·s qui sont ensuite coopté·e·s au Conseil de police. Le Bourgmestre lui-même est le chef de la zone de police et est bien sûr responsable de ce qui se passe sur le territoire communal. Prétendre, à la dernière minute, que le Conseil communal n’est pas compétent sur ces sujets et ne peut donc pas être interpellé est un contresens et une tentative flagrante d’empêcher que l’interpellation ait lieu.

« Il est inacceptable que la Ville se contente de relayer la version de la police »

Enfin, quant à la légitimité des arrestations et du dispositif policier, il est inacceptable que la Ville, malgré son devoir de protection des citoyen·ne·s et de leurs libertés, fasse de telles déclarations sans même user du conditionnel et se contente de jouer le rôle du relais de la version de la police. Cela alors même que tous les témoignages des personnes présentes sur place au moment des faits sont univoques quant au fait que les arrestations n’étaient pas justifiées, que trois personnes ont déposé plainte au Parquet et onze autres au Comité P (dont huit ont déjà débouché sur l’ouverture d’une enquête) pour violences policières et arrestations arbitraires, que les articles de presses parus à ce jour et qui traitent de ces arrestations2 vont eux aussi dans le sens contraire des affirmation faites par la police… et que l’objet de la demande d’interpellation citoyenne est, entre autres, de présenter une version contradictoire à celle-là. De plus, le cas du photographe qui a violenté une des personnes arrêtées avec l’aval du Commissaire et pour lequel le bourgmestre a lui-même interpellé le chef de corps de la police bruxelloise démontre à nouveau que la Ville sait parfaitement qu’il y a toute raison de s’inquiéter des actions de la police ce jour-là et qu’il est donc parfaitement normal que les victimes s’adressent à elle en ce sens.

Nous invitons chaque personne à lire le texte (disponible ici) de l’interpellation citoyenne qui était prévue afin que chacun·e qui le souhaite puisse comprendre ce qu’ont réellement vécu les victimes et entendre ce qu’elles ont à dire. Les réponses de la Ville sont quant à elles disponibles ici. Afin de faire entendre leur interpellation malgré la volonté de la Ville de l’empêcher, le collectif « Rue de la Régence » (qui rassemble les victimes de violences policières et d’arrestations arbitraires lors de la manifestation du 13 septembre) a organisé un rassemblement devant l’Hôtel de Ville de Bruxelles lors du Conseil communal de ce lundi 19 octobre, à 16 heures. Nos organisations et collectifs y étaient présentes pour les soutenir

« Un renforcement structurel de la tolérance politique à l’égard des violences policières »

Nous considérons que non seulement les violences policières qui ont eu lieu, mais aussi et surtout la volonté manifeste de la Ville d’étouffer les faits sont extrêmement graves. En effet, nous ne pouvons que constater que ces faits, que certains appellent encore des « dérives », s’inscrivent en réalité dans un renforcement structurel de la tolérance politique à l’égard des violences policières.3 La manière dont (n’) est (pas) traité par le pouvoir politique le présent cas de violences policières fait écho à la manière dont (n’) ont (pas) été traitées les violences qui ont eu lieu dans d’autres manifestations en 2020.4 Cela fait aussi et surtout directement écho au déni à l’égard des violences qui ont dû être dénoncées face à l’hôtel de ville de Saint-Gilles ce 8 octobre plutôt que face aux élu·e·s. En effet, cette commune avait là aussi décidé de ne pas entendre la parole des citoyen·ne·s. Cela rappelle aussi le déni de la même commune de Saint-Gilles face aux violences subies par des femmes de la part de policiers à la mi-août. Tout comme celui dont fait preuve la commune d’Anderlecht à l’égard de la mort d’Adil durant le confinement. Et celui dont fait preuve aujourd’hui la justice à l’égard de la mort de Mehdi. Et, enfin, à celui auquel ont dû faire face des dizaines de personnes qui ont subi ces derniers mois des contrôles policiers violents prétendument justifiés par les mesures sanitaires.

En premier lieu les personnes racisées5, mais aussi de nombreuses personnes précarisées, de nombreux et nombreuses migrant·e·s, de nombreuses personnes LGBTQIA+ et de nombreuses femmes (et d’autant plus celles qui combinent ces oppressions) subissent depuis longtemps, au quotidien, des comportements anormalement violents de la part de la police.

Le problème des violences policières en manifestation n’est pas neuf non plus ; en témoigne le fait que le commissaire Vandersmissen n’en est pas à sa première suspension. Mais il est clair que ce type de comportement a explosé ces derniers mois, qu’une forme de sentiment de toute-puissance s’est installé dans les rangs de la police et que le laissez-faire semble devenir de plus en plus la norme pour les pouvoirs, notamment au niveau communal.

« Les élu·e·s ne peuvent persister à refuser de prendre en main ces problèmes. »

Nous nous adressons dès lors aux élu·e·s communales/aux de la Ville de Bruxelles, de la majorité comme de l’opposition. Nous les pressons fermement de recevoir les victimes des violences policières de la manifestation du 13 septembre et de répondre à leur interpellation. Nous attendons également de chacun·e d’entre elles et eux – et de leurs collègues des autres communes – une réaction rapide et vigoureuse face à la multiplication de ces comportements inacceptables de la part des autorités publiques. Les élu·e·s ne peuvent persister à refuser de prendre en main ces problèmes. Elles/ils ne peuvent continuer à protéger, que ce soit de manière active ou passive, des cadres et des policiers violents et à refuser de faire face au fait qu’il y a un flagrant problème politique qui traverse l’institution policière et qui conduit ces fonctionnaires publics à avoir des comportements inadmissibles envers des citoyen·ne·s sur la base de leur origine ethnique, socio-économique ou de genre ou de leurs convictions et revendications philosophiques, religieuses ou politiques (qu’elles soient réelles ou supposées). Il est temps que les autorités publiques prennent acte que la réalité des politiques « sécuritaires » qui sont à l’œuvre aujourd’hui et dont elles sont responsables représentent en réalité un danger pour de nombreuses/eux citoyen·ne·s. Nous aurions quelques conseils à leur donner en matière de soin aux autres, nous espérons qu’ils pourront enfin être entendus…

La santé en lutte a ouvert une caisse de solidarité avec les personnes victimes de violences policières à la Grande Manifestation de la Santé du 13 septembre afin de les soutenir dans les frais de justice auxquels elles et ils doivent faire face. Nous invitons chacun·e à y participer.

Signataires :

Action Logement Bruxelles,
Action Vivre Ensemble,
Agir pour la Paix,
ARC (Action et Recherche Culturelles),
ArtiCulE,
Attac Bxl 2,
Attac Liège,
Bureau des Femmes de la FGTB Wallonne,
CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes),
Campagne ROSA,
CAS (Coordinadora Antiprivatizacion de la Sanidad),
CGSP Brugmann,
CIP ASBL (Comite Internacional Peruano),
CNE,
Collecti·e·f 8 maars,
Collectif des madre,
Collectif Hôpital en Résistance,
Cultures&Santé ASBL,
DoucheFLUX,
Droit à un toit / Recht op een dak,
Élite Taxi Belgium,
FéBUL (Fédération Bruxelloise de l’Union pour le Logement),
Fédération des Centres de Planning familial des FPS,
Fédération des Maisons médicales,
Féministe Libertaire,
FPS (Femmes Prévoyantes Socialistes),
Front Q,
Féminisme Yeah,
Formation Lesoil,
Gang des vieux en colère,
IEB (Inter-Environnement Bruxelles),
IWW Belgium (Industrial Workers of the World – Belgium),
Jeunes FGTB,
JOC (Jeunes Organisés et Combatif),
La CLAC (Collectif de Luttes Anti-Carcérales),
La Ligue des Droits Humains,
La Nouvelle Voie Anticoloniale,
La Rue ASBL,
La santé en lutte,
Le Poisson sans bicyclette ,
Les Équipes Populaires (Régionale de Bruxelles),
Les Équipes populaires (Wallonie-Bruxelles),
Maison Arc-en-Ciel,
Marche mondiale des femmes,
Mères au Front,
MOC,
MRAX (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie),
Némésis fighting club,
PAC (Présence et action culturelles),
Quarantine Watch,
Quinoa,
RBDH-BBRoW (Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat/Brusselse Bond voor het Recht op Wonen),
Réseau ADES,
RWDH (Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat),
RWLP (Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté),
Rencontre des Continents,
Street Médic BXL,
Students for Climate,
Stop Répression,
Syndicat des immenses,
Travail social en lutte,
Une Maison en Plus,
Vie Féminine ASBL,
XR (Extinction Rebellion),
Zad d’Arlon.

1Voir les posts publiés les jours qui ont suivi la manifestation sur la page Facebook de La santé en lutte.

2Voir notamment les articles du Soir et de la DH.

3Cfr. cette phrase de Peter de Crem, le 18 juin 2020, alors qu’il était ministre de l’intérieur « Les plaintes contre la police pour violence ou racisme constituent une contre-stratégie utilisée par des groupes criminels et je n’accepterai jamais cela ». https://www.7sur7.be/belgique/pour-pieter-de-crem-les-plaintes-contre-la-police-sont-une-contre-strategie-de-groupes-criminels~a85000b2/

4Nous nous souvenons notamment du jeune garçon tabassé dans un fourgon de police lors de la manifestation Black Lives Matter de Bruxelles en juin dernier et des femmes violentées lors de la manifestation du 8 mars)

5Il est clair qu’il y aurait matière à s’étendre sur la responsabilité de l’État quant aux délits et crimes racistes commis par la police (et parfois des citoyens blancs) et quasi systématiquement impunis et sur le caractère systémique de ces violences racistes. Plusieurs de nos organisations et collectifs comptent davantage s’impliquer dans cet enjeu pour proposer leur soutien aux collectifs réclamant justice pour les personnes violentées, parfois tuées par la police.

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