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Portrait de nana confino-révoltée

On ne doit pas vous faire de dessin, cette période n’a pas été tendre avec les femmes*. Rien n’a changé, non ; mais au moins le projecteur était là et permettait, à peine quelques jours après la mobilisation pour la journée mondiale des femmes, de faire entendre la voix de celles qui sont réduites au silence.

C’est ainsi que le monde a découvert, si ce n’était pas déjà le cas, que le personnel médical présent en première ligne est en majorité composée de femmes, souvent dans des emplois peu valorisés. Qui a pris sa machine à coudre pour faire des masques parce que l’État était incapable d’en fournir à toutes les professions de contact ? Principalement des femmes. Qui sont celles dont le gouvernement a volontairement omis de parler dans ses nombreuses conférences de presse ? Les travailleur·euse·s du sexe, en majorité des femmes et des minorisé·e·s de genre. Qui a eu la joie de jongler entre charge mentale, télétravail, garde des marmots à la maison ? Encore et toujours les femmes. Qui a eu l’honneur de voir fleurir un marché complet de régimes/compléments alimentaires/sport pour garder la forme et ne pas finir avec 10 kilos en plus ? Idem. Qui s’est retrouvée coincée à la maison sans réelle solution face à un conjoint violent ? Des centaines de femmes.

Ce n’est pas juste nous qui le disons, mais le nombre incroyable de témoignages qu’on a pu récolter et lire sur les réseaux sociaux. Des femmes précaires, racisées, jeunes, vieilles, grosses, minces, lesbiennes, hétéros, salariées de première ligne, employées en télétravail, étudiantes, chômeuses, artistes… 

Il y a un slogan qui tourne sur les réseaux sociaux, au moment où nous commençons à écrire à 6 mains cet article, qui dit : « Il n’y aura pas de retour à la normale, car c’est justement ça le problème ». Pendant le confinement, avec le groupe Les Macrales, on a tout de suite voulu continuer à se voir, du moins virtuellement, à prendre soin les unes des autres et à poursuivre nos discussions sur le monde dans lequel on vit et les alternatives, les changements possibles.

Dans nos actions en pause forcées, on a décidé de prendre le temps pour discuter et réfléchir. Dès notre première téléréunion, une dizaine de jours après avoir battu ensemble le pavé ensemble ce 8 mars, un gros point d’interrogation apparait et fait débat : qu’adviendra-t-il de nos luttes après cette période ? Est-ce que nous allons vers un mieux ou vers un pire ? Les situations dépeintes par nos camarades par d’autres femmes sur les réseaux sociaux nous ont indignées, faits parfois peur. Alors, on a voulu creuser ces questions avec des femmes, des militantes, des meufs engagées et enragées, pour faire germer nos idées.

Myriam est une nouvelle militante des Macrales, elle a rejoint le groupe après le 8 mars à Tournai, elle est étudiante en Haute école à Tournai. Pendant le confinement, elle essayé de réfléchir à des actions de sensibilisation par les réseaux sociaux, « on ne peut faire que ça, sinon, il y a les banderoles aussi ». Son quotidien, elle n’a pas trop envie d’en parler ici, les cours à distance sont compliqués à suivre. Myriam suit des études où le corps à une importance capitale, la plupart des étudiantes continuent la pratique du sport. Elle se sent attaquée par les injonctions sur le corps des femmes pendant cette période un peu spéciale : « Fais attention », « Ne prends pas de poids », « Ne mange pas trop, tu vas grossir ». La pression est encore plus grande à cause des réseaux sociaux et de son examen où elle devra monter sur une balance. Elle est peu sortie de chez elle, mais les rares fois où elle s’est aventurée dehors, elle a eu droit au traditionnel florilège de harcèlement de rue : sifflements, réflexions, arrêts par des passants. En bref, elle a continué de se sentir en insécurité. Quand on lui demande ce qu’elle pense du retour à la normale ou pas, Myriam ne tergiverse pas : « Cette expérience de confinement nous permet de voir que la société dans laquelle on évolue est totalement vouée à l’échec si on continue comme ça: au niveau politique/démocratique, au niveau de la place des femmes, au niveau des impacts sur l’environnement… et j’en passe énormément. »  

Lætitia, 26 ans, prof d’art plastique et militante des JOC Namur et des Macrales, nous raconte sa vision du confinement et du post-confinement entre angoisse et espoir. C’est en effet difficile pour elle de s’organiser pendant le confinement, au début, elle a surtout relâché la pression, mais ensuite, sa mauvaise maitrise des canaux de communication en ligne et son angoisse de ne pas savoir quand elle pourra retourner crier sa colère dans la rue ont pris le dessus. Elle a rejoint l’appel d’un parti politique qu’elle a connu lors de l’organisation de la manif du 8 mars,  pour coudre des masques et cuisiner des pâtisseries pour les travailleurs de 1ères lignes. Mais selon elle, ce militantisme a trop de  fame , « faire des selfies et promouvoir ce que l’on fait », ce n’est pas comme ça qu’elle voit sa participation active. Alors, à son échelle, dans l’habitat groupé où elle vit, elle « soulage » ses camarades mamans en gardant leurs enfants. Elle pense que les femmes sont les chefs d’orchestre de la famille, qu’elles doivent songer à tout : activités, répartitions de tâches… et que la culpabilité ronge les femmes qui ont envie de s’octroyer un peu de temps rien qu’à elles : « Les femmes ont la pression d’être au service de tout le monde ». Alors, pour plus de solidarité avec les autres femmes, afin qu’elles fassent une pause, prennent une douche ou même aillent aux toilettes seules, Lætitia s’occupe des enfants de l’habitat groupé. 

La quarantaine, maman de 3 garçons, Véronique est travailleuse sociale à l’Espace P depuis des années, une association qui soutient les travailleur·euse·s du sexe à Namur. Ce qui l’anime, c’est la justice et la lutte des classes. Pour elle, le confinement demande plus d’organisation que ce soit pour le boulot ou pour ses actions de terrain. Pour le boulot, son téléphone est allumé H24, elle veut être joignable à tout moment.  Pour ses actions de terrain, elle est épaulée par son conjoint qui prend en charge les enfants. Avec le parti politique dans lequel elle milite, elle réalise des masques pour la Croix-Rouge ou le centre de réfugiés, cuisine pour les travailleurs de première ligne, propose un service pour faire les courses des personnes fragilisées, distribue des repas aux SDF. Son confinement est moins difficile pour elle, elle se sent privilégiée et veut mettre son temps et son énergie pour ceux en difficulté. Pour elle, la solidarité est toujours demandée à sens unique et aujourd’hui, les couturières, bien souvent des femmes, sont mises au travail gratuitement pour pallier au manquement du gouvernement. En France, la vente de masques est interdite, elle craint que ça finisse par être similaire en Belgique, elle fabrique ces masques bénévolement, car elle n’a pas été impactée financièrement, mais beaucoup de femmes n’ont pas cette chance et la couture leur permet parfois de contribuer aux factures. L’argent va encore dans la poche des mêmes personnes, surtout quand elle voit l’augmentation du prix des masques ou du gel hydroalcoolique, mais elle a l’impression que ça y est, cette fois, les gens en ont ras le bol.

M, jociste liégeoise, préfère garder l’anonymat. On réalise ce portrait par téléphone, pas de wifi efficace là où elle vit. Pour elle, peu de choses ont vraiment changé, avec son collectif féministe, elles ne se sont plus rassemblées de manière physique, tout passe par les outils internet et toutes doivent apprendre à faire avec. Pour M., un bel exemple, ce sont toutes les belles mobilisations en ligne qu’on a pu croiser sur les réseaux. Elle dit qu’elle a la chance de vivre dans un squat collectif à Liège, ça lui permet de continuer une vie militante au jour le jour. Ce que le confinement révèle, selon elle, c’est « que les femmes sont toujours plus en danger parce qu’au lieu de tester la population en entier et d’isoler les personnes porteuses du virus, on a préféré confiner tout le monde, ça veut dire aussi les femmes victimes de violence à domicile . » Cette période a mis en lumière la sous-valorisation des femmes et de leur métier : « Le système actuel trouve ça normal d’exploiter les femmes, pour faire des masques par exemple. » M. est scandalisée par l’impact que la dévalorisation des femmes peut avoir à long terme : « On le voit maintenant, en sous-finançant des secteurs comme la santé, les femmes* n’ont plus les moyens de faire un travail correct en sécurité » Pour elle, la suite n’est pas rose et le message de non-retour à l’anormal est naïf : « On se dirige droit vers un retour à la même situation qu’avant, voire pire ». 

Toutes se sont penchées sur l’après confinement et proposent des pistes telles que le soutien à des plateformes comme La Santé en Lutte, sortir pour crier son mécontentement, mais plus radicalement, pointer du doigt et dénoncer toujours plus les responsables des situations dont nous ne voulons plus. Elles espèrent toutes qu’un retour à la norme d’autrefois ne se remettra pas en place, mais émettent quelques réserves, certaines pensent que c’est aux militantes de puiser dans leurs forces, dans leur ras-le-bol pour donner encore plus, d’autres pensent que le confinement a, au moins, éveillé quelques consciences et qu’il ne faut pas entretenir la colère, mais plutôt la transformer en énergie positive pour descendre dans la rue, d’autre se sentent prêtes à être plus radicales et à se battre.

*Dans ce texte, le terme “femme” recouvre la définition suivante: personne s’identi-fiant et/ou étant identifiée en tant que femme.

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